Meubles de riz

Antoine DRUET, Mariette LAFONT DE SENTENAC, Joffrey MARTIN, Claire SQUARZONI, Lucile VASCHALDE

En Camargue, entre 17 000 et 20 000 hectares sont consacrés à la riziculture. La balle de riz est l’un des principaux sous-produits de la riziculture et n’est que peu valorisée aujourd’hui. Le but de ce projet est de transformer cette matière première afin de créer des objets utiles au quotidien comme des meubles par thermo-compression. Les balles de riz sont constituées de 10 à 25% de composants minéraux (silicium, potassium et autres éléments chimiques à l’état de trace) et de 75 à 90% de matière organique (cellulose, amidon, hémicellulose ainsi que lignine). Cette matière organique, quand elle est thermo-compressée, change de propriétés et permet d’obtenir des matériaux rigides. Plus précisément, la lignine et la cellulose sont les composés organiques responsables de la rigidification du matériau après polymérisation par thermo-compression. Comprendre ce qui assure la solidité du produit fini ouvre la voie à d’éventuelles améliorations tant au niveau du processus de thermo-compression (adaptation des paramètres) qu’au niveau de l’échantillon de départ (transformation préalable).

Aujourd’hui, les balles de riz sont utilisées pour quelques applications : paillage, garniture de coussins, additifs à haute teneur en fibres pour l’alimentation animale, isolation des bâtiments, matériaux composites. Elles sont aussi à l’origine d’un matériau aggloméré, dense et rigide, appelé Céralin, obtenu après le broyage des enveloppes des grains de blé ou de riz, l’adjonction d’un liant “secret”, puis une thermo-compression. Ce type de matériau est actuellement ce qui se rapproche le plus de ce que nous voulons obtenir, à la différence près que nous aimerions n’ajouter aucun additif chimique.

Pour mieux comprendre pourquoi les balles de riz permettent l’obtention d’un matériau rigide et dense lors de sa thermo-compression, nous avons étudié le mécanisme à l’origine de cette transformation.

En effet, lorsqu’une certaine température est atteinte, appelée température de transition vitreuse Tg, l’hémicellulose et la lignine passent d’un état caoutchouteux à un état vitreux, solide. Au-dessus de Tg, les fibres peuvent être déformées et elles créent entre elles un réseau de liaisons hydrogène qui consolident le matériau et lui confèrent de bonnes propriétés mécaniques. Une fois revenu à température ambiante ce réseau est figé et un matériau dense et rigide est obtenu. Il est cependant très difficile de dire à quelle température et pression se passe cette étape car la température de transition vitreuse des molécules dépend de leur environnement et elle n’est pas documentée pour la balle de riz.

Tout d’abord, la composition de la balle de riz a été déterminée. Une première étape de calcination permet de déterminer la composition en matières organique et minérale. Puis la méthode Van Soest and Wine, encore appelée méthode ADF-NDF, donne les pourcentages en cellulose, lignine et hémicellulose. Cette technique est une méthode gravimétrique basée sur la différence de solubilité des constituants dans 2 types de détergents (Figure 1):

  • Un détergent neutre (NDF) à base d’EDTA. Il solubilise l’ensemble des constituants non pariétaux : protéines, pectines. Le résidu insoluble contient les hémicelluloses, les lignines et la cellulose.
  • Un détergent acide (ADF) à base de CTAB et d’acide sulfurique dilué. Il solubilise l’ensemble des composés non pariétaux et les hémicelluloses. Le résidu insoluble contient les lignines et la cellulose. L’attaque du résidu par un oxyde permet de récupérer la cellulose alors que son attaque par de l’acide sulfurique permet de récupérer la lignine.

Figure 1 :Reflux dans l’ADF et filtrage de la balle de riz

Au vu des expériences réalisées, la composition approximative de nos balles de riz est la suivante :

COMPOSANT POURCENTAGE MASSIQUE (%)
Cellulose 34
Lignine 30
Matière Minérale 13
Autres (hémicellulose, protéines) 23

Les paramètres influençant la thermo-compression sont la température, la pression, la température et le taux d’humidité de la matière première. La température et la pression sont les paramètres les plus importants car ils déterminent totalement les réactions qui ont lieu dans le matériau. Il faut trouver le juste équilibre de ces deux paramètres afin de dépasser la Tg de nos composants organiques mais sans toutefois les dégrader, ce qui peut arriver à haute température et/ou haute pression. La température conseillée semble donc être entre 150 et 200°C et la pression doit être élevée mais elle diffère énormément selon les expériences.

Comme nous savons que le mécanisme à l’origine de la rigidité de nos matériaux est le passage d’un état caoutchouteux à vitreux pour la cellulose et la lignine à leur température de transition vitreuse, nous avons voulu savoir précisément qu’elles étaient ces températures. Ainsi des mesures calorimétriques différentielles (DSC) ont été réalisées.

Par exemple, on observe pour les balles de riz une transformation identifiable par un très large pic dont le maximum se situe autour de 110°C (Figure 2). La balle de riz étant une matrice complexe constituée d’une multitude d’éléments, il nous est difficile de savoir précisément ce qui se passe au cours de cette transformation. Cependant, nous pouvons émettre plusieurs hypothèses telles qu’une transition vitreuse de la cellulose, de l’hémicellulose et de la lignine, une décomposition du bleu de campêche, une évaporation de l’eau… Quoiqu’il en soit, il nous faut nous situer au-dessus de cette température pour nos procédés si l’on espère observer une transformation au sein de notre matériau.

Figure 2: en rouge, analyse calorimétrique de la balle de riz. Le creux de la courbe indique une transformation globale endothermique (une transformation qui absorbe de la chaleur) autour 100-120°C.

Nous avons décidé d’utiliser un test 3 points comme critère de résistance mécanique (Figure 3) puisque le matériau en balle de riz est très friable et ne résiste que très peu à la flexion. Or si cette matière est utilisée un jour pour faire des meubles elle devra surtout être résistante à la compression et à la flexion. Ce test nous a donc permis de déterminer les capacités maximales de notre matériau dans son domaine d’utilisation.

Figure 3 : Tests de flexion

Les mesures sont effectuées en compression, et la force appliquée est mesurée en fonction de la distance parcourue par le piston, dite déflexion (Figure 4).

Figure 4 : Schéma de principe des tests de flexion

Les résultats obtenus grâce au test de flexion permettent de conclure les résultats suivants concernant le protocole de thermo-compression:

  • La compression est très importante. Plus la compression est forte, meilleure est la résistance à la flexion du matériau. En effet, une compression plus forte permet d’augmenter la limite d’élasticité du matériau ainsi que sa rigidité (module d’Young plus important). Même si la compression est plus longue pour compenser la différence de pression, cela ne permet pas d’atteindre la même résistance. Ce phénomène s’observe sur la différence entre les courbes des échantillons 6 et 17 qui ont été pressés à 13t, et les courbes des échantillons 8 et 9 pressés seulement à 5t (Figure 5).
  • L’ordre compression/chauffage est crucial. Il faut chauffer avant de presser pour obtenir des résultats corrects, comme le montre la différence entre l’échantillon 17 chauffé puis pressé et l’échantillon 16 pressé puis chauffé.
  • Le chauffage est aussi un paramètre non négligeable, il joue sur la limite d’élasticité. Si nous ne chauffons pas, cette dernière est significativement plus faible comme montré par la différence entre les échantillons 17 et 6.

Figure 5 : Résistance à la flexion des pastilles réalisées avec différents protocoles

Nous avons également constaté que la balle de riz non broyée est beaucoup plus difficile à thermo-compresser car la surface de contact entre les grains est moins grande. L’enrichissement en cellulose augmente quant à lui la rigidité du matériau du fait d’un module d’Young plus grand. Plus la température de thermo-compression est importante, plus le matériau est résistant, mais moins il est flexible. Ceci semble en corrélation avec les mécanismes chimiques présents. En effet, à 175°C, la supposée Tg de la méthylcellulose est atteinte, ce qui rend le matériau beaucoup plus rigide. A 120°C, nous sommes à une température de transition pour la balle de riz en elle-même, mais comme cette dernière n’est pas seulement composée de matière organique l’effet de rigidité est moins prononcé.

Au niveau de l’humidité, un minimum est nécessaire pour obtenir les propriétés mécaniques voulues mais il n’en faut cependant pas trop. En effet, un excès d’humidité peut provoquer l’accumulation d’eau libre empêchant la mise en place du réseau de liaisons hydrogène : cela conduit à la délamination des échantillons. Ainsi, nous avons constaté que l’eau s’insère très facilement entre la balle de riz et l’éthyl-cellulose. Elle induit un relâchement des liaisons hydrogènes inter-fibres, ce qui provoque la désagrégation du matériau. Ce matériau n’est donc absolument pas adapté à une utilisation en présence d’eau.

Texte écrit Par Pascal Loiseau d’après le rapport PIG des étudiants.